Alors que les betteraviers craignent une nouvelle épidémie de jaunisse, le ministère de l’Agriculture a annoncé qu’il faciliterait l’usage du Movento, un insecticide qui remplace les néonicotinoïdes désormais interdits en France. Au même moment, le fabricant retire la molécule du marché européen.
La France vient d’accorder une nouvelle dérogation de 120 jours pour l’insecticide Movento, autorisant les betteraviers à réaliser cinq passages par an, au lieu de deux l’année dernière. Or, son principe actif, le spirotetramate, perdra son autorisation de mise sur le marché le 30 avril prochain.
« Cette sortie au niveau européen montre que ce n’est pas une molécule d’avenir », a confié à Euractiv François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations futures qui dénonce cette mesure « incohérente » avec les décisions européennes.
Alors que la campagne betteravière commence à peine, les agriculteurs sont hantés par « l’année noire » de 2020, au cours de laquelle une grande partie de la production française a été décimée par la jaunisse de la betterave, maladie transmise par un puceron.
Cette autorisation annoncée le 5avril dernier vise donc à rassurer la filière, d’autant plus que depuis 2023, la France a interdit l’ensemble des néonicotinoïdes — des insecticides reconnus comme dangereux pour les insectes pollinisateurs notamment.
Retrait du marché européen
Si l’autorisation du principe actif du Movento, le spirotetramate — attribué pour 10 ans par la Commission européenne en 2014 — n’est pas renouvelé en 2024, c’est que le fabricant n’en a pas fait la demande.
Contactée par Euractiv, la société Bayer assure qu’elle n’a pas soumis de dossier pour des « raisons commerciales », ajoutant qu’elle « continue de soutenir pleinement son utilisation dans tous les pays où il est enregistré ».
Mais des questions se posent sur la motivation réelle de Bayer. Fin février, l’eurodéputée belge Hilde Vautmans (Renew) invoquait le durcissem*nt en 2022des règles de classification et d’étiquetage pourles perturbateurs endocriniens.
Ces dernières années, des études ont en effet montré que la molécule, en se répandant dans les milieux environnants, pouvait avoir un impact sur les organismes aquatiques, comme les poissons. Elle est également « suspectée toxique » pour la reproduction des animaux par l’Union européenne.
« Après plusieurs études peu concluantes sur les mécanismes d’action du spirotetramat, le fabricant a décidé d’arrêter le produit », avait souligné l’élue dans une question soumise à la Commission européenne.
Selon le porte-parole du collectif Générations futures François Veillerette, étant donné l’ampleur du marché du Movento, cette décision ne peut qu’être « rationnelle » et prise selon des données objectives en défaveur du produit.
L’ONG reproche à la France de ne pas tenir compte de ce contexte. « Il n’y a jamais eu d’évaluation de la molécule pour la betterave sucrière ni pour 5 passages toutes cultures confondues. On ne sait pas quel effet cela peut avoir sur notre santé ou l’environnement », ajoute M. Veillerette.
Sur ce point, le fabricant l’assure : le Movento « ne présente aucun risque inacceptable pour les humains et l’environnement lorsqu’il est utilisé conformément aux instructions de l’étiquette ».
Quid de 2025 ?
La décision annoncée par la ministre déléguée auprès de Marc Fesneau, Agnès Pannier Runacher, a reçu un accueil mitigé dans la filière betteravière, qui y voit un pis-aller.
Celle-ci réclame surtout la réautorisation des néonicotinoïdes, bien plus efficaces et nécessitant moins de passages sur les cultures. Le syndicat principal, la Confédération Générale des planteurs de Betteraves (CGB), appelle notamment à « supprimer la distorsion » de concurrence avec les autres États membres.
Bien qu’interdit en France, l’un d’entre eux, l’acétamipride, reste en effet autorisé dans l’UE jusqu’en 2033. Les cultivateurs allemands y ont notamment recours en cas de jaunisse.
Si le principe actif du Movento perd son autorisation de mise sur le marché européen le 30 avril prochain, l’interdiction sera effective pour la prochaine saison, en 2025. D’où la question : quid de la commercialisation du produit en 2025 en France ?
Si le gouvernement ne souhaite pas revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes, Agnès Panier Runacher a tout de même expliqué à l’AFP que le gouvernement prépare « 2025 en regardant ce qui va sortir des analyses européennes ».
Et notamment les résultats de la réévaluation de l’acétamipride par l’EFSA, l’agence sanitaire européenne.
Autorisation d’usage accru d’un insecticide sur les betteraves, « insuffisant » pour les cultivateurs
Le gouvernement a annoncé vendredi (5 avril) une dérogation pour utiliser davantage un insecticide sur les betteraves à sucre, jugée « indispensable » par les cultivateurs mais « insuffisante » face au risque élevé de développement d’une maladie pouvant décimer les productions.
[Édité par Anne-Sophie Gayet]
